Je ne suis pas née dans le bon pays

Je ne suis pas née dans le bon pays
Publié le 10 juin 2021
Chroniques Parisiennes

Chaque mois, My Little Paris publie une manière de ressentir Paris partagée par un·e Parisien·ne. Pour cette chronique, on donne la plume à Lindsey Tramuta, une journaliste américaine installée à Paris depuis 15 ans. Elle est correspondante pour le New-York Times, et vient de sortir le livre La Nouvelle Parisienne, un portrait de 40 Parisiennes engagées qui dessinent le nouveau visage de Paris.  Elle va nous parler du mythe de la parisienne, et de sa réalité. 

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Une voyante me l’a confirmé récemment : je suis au bon endroit. “Les États-Unis, ce n’est pas pour toi, tu es faite pour vivre ici. Tu es parisienne”. En réalité, je n’avais pas vraiment besoin de cette confirmation : après quinze ans passés à Paris, j’en suis profondément convaincue. Mais cette rencontre m’a donné envie de retracer le chemin que j’ai parcouru pour savoir avec certitude que, malgré tous les défauts de la capitale, mon destin est inextricablement lié à Paris.
 

 

Après des études de littérature et de linguistique françaises et francophones, je connaissais mieux Baudelaire, George Sand et Aimé Césaire que Brigitte Bardot, Catherine Deneuve ou Chanel. Je n’étais pas, contrairement à nombre de mes compatriotes qui s’installent en France chaque année, une francophile invétérée. En revanche, j’étais obsédée par l’idée de maîtriser une langue étrangère ; d’abord pour me prouver que j’en étais capable, mais aussi - et je m’en rendrai compte bien plus tard -, pour pouvoir me glisser dans une toute autre identité. Ainsi, quand j’ai déménagé à Paris en 2006, je ne rêvais pas du conte de fées entretenu par la culture populaire, et je n’avais encore pas conscience des stéréotypes qui définissaient la façon dont Paris et ses habitants étaient perçus dans le monde. 

J’ai atterri dans le 13ème arrondissement pendant un mois avant de me retrouver dans le 11ème , avec tous ses restos, ses bars, ses galeries, et sa population mixte, où je vis depuis. C’est là où j’ai rencontré mes amis, passé mes études de littérature, là où j’ai embrassé mon mari pour la première fois, là où j’ai découvert la vraie joie de vivre parisienne, avec toutes les soirées bien arrosées qui finissent tard qui vont avec, parmi des riverains de tout parcours ; du Grand Paris, de province, et de l’étranger. L’Est parisien, pour moi, était un véritable melting pot avec une énergie redoutable.   
 

Mais en parallèle, et même sans beaucoup d’attentes, je me suis rapidement sentie dépassée par les standards irréalistes qui s’imposaient à moi. J’ai découvert une ville où les panneaux publicitaires, les couvertures de magazines et les séries télévisées renforçaient une vision réductrice de la francité, de la beauté et de la féminité. Mince, blanche, incroyablement élégante et toujours tirée à quatre épingles, sûre d’elle, bourgeoise et, bien sûr, sexuellement libérée (mais hétéro) : voici quelques-uns des traits que j’observais comme le modèle de la parisianité, tel que fantasmé par les médias et les marques. Peu importe le quartier où je me retrouvais, c’était évident. 

À l’époque, j’étais déjà consciente qu’il s’agissait d’une supercherie. Rationnellement, je savais que ces images n’avaient rien à voir avec ce que je voyais autour de moi. Et pourtant, cet idéal est devenu un fardeau dont je peinais à me libérer. C’était avant qu’Héloïse Letissier ne devienne Chris (de Christine and the Queens), avant que Shirley Souagnon ne défie les codes de la comédie, avant que l’avocate et militante pour les droits des personnes en situation de handicap Elisa Rojas ne fasse la couverture de Marie-Claire, et bien avant qu’Aïssa Maiga ne s’exprime sur la représentation et l’accès aux opportunités dans les médias. Et surtout, c’était avant que, grâce aux réseaux sociaux, je puisse accéder d’un simple clic à la diversité de pensée et à la pluralité de visages que je retrouvais chaque jour dans les rues de Paris. L’écart entre le mythe et la réalité était vraiment vertigineux. 

Pour reprendre les mots de Chimamanda Ngozi Adichie, cette dissonance reflète le danger d’une histoire unique. Si ces stéréotypes ne sont pas tous complètement faux, ils créent une vérité incomplète, qui réduit ces femmes à la caricature. Bien sûr, il existe également une vision tout aussi étroite et réductrice de Paris : à l'étranger, on entend souvent que “Paris n’est guère plus qu’une ville-musée qui se repose sur son passé. C’est un endroit qui ne change jamais. Ce n’est pas un lieu d’innovation”. Chaque jour, je me rends compte à quel point cette vision est fausse.

Bien que Paris soit parfois une ville difficile, dans laquelle on peut se sentir très isolée, c'est l’endroit même qui m’a libérée de l’emprise de stéréotypes dépassés, entretenus à la fois dans mon pays et à l’étranger. C’est ici que j’ai rencontré des chefs, des écrivains, des architectes, des stratèges, des ingénieurs, des militants et des religieux qui travaillent activement à améliorer le quotidien des Parisiens et à construire un avenir meilleur. Toutes ces personnes ne peuvent être réduites à une seule histoire. Inspirée par leur travail, j’ai trouvé mon propre objectif : documenter les nombreuses façons dont la ville évolue. 

J’imagine que c’est ce que la voyante a décelé en moi : Paris est loin d’être parfaite, mais elle me donne un sentiment d’utilité et d’appartenance. Aujourd’hui, je lui rends la pareille en combattant ces stéréotypes pour la rendre un peu moins incomprise.
 
Lindsey Tramuta
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