C'est Paris que je cherche dans toutes les capitales que je visite
Nagori : la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. Ce mot japonais exprime bien le passage brutal de l’été à un prémisse d’automne, du chuchotement des vagues au charivari de Paris. Et pourtant, parmi la foule des Parisiens nostalgiques de rentrée, on a trouvé une résistante. Pour cette nouvelle chronique parisienne, on donne la plume Fanny Auger, alias @sassy.fanny, parisienne depuis 20 ans, et peut-être bien la seule à aimer la rentrée à Paris, le début de sa saison préférée : celle de la promesse du renouveau.
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« J’aime la rentrée car je suis arrivée à Paris un beau mois de septembre dans les années 90. La plupart des Parisiens arrivent à Paris pour une rentrée. Moi, ce fut mon « entrée » dans le monde. Le 1er jour du reste de ma vie, la fin de l’innocence, le début de la danse.
Paris m’a sauvée : je découvrais qu’il était possible de vivre d’autres vies que la mienne, la promesse de la liberté à conquérir, la ville comme laboratoire de l’enthousiasme et de l’expérience.
Paris m’a cueillie comme un moineau tombé du nid : un peu ébouriffée, mal dégrossie alors que j’arrivais de Lorraine avec mes gros sabots. Je peux encore décrire ma première chambre de bonne au 6ème sans ascenseur rue de Vaugirard, « pas loin de la Sorbonne », avec les toilettes sur le palier et une surface si petite que je pouvais remuer mes coquillettes tout en prenant une douche. Pour moi, ces 13m2, c’était un palais, presque aussi grand que les Invalides dont j’apercevais le dôme décoré de mon velux. C’était la clef dorée de mon indépendance, la clef des villes pour moi qui venait des champs, des rêves de grandeur et des étoiles plein les yeux.
Paris me nourrit : j’en ai eu des nids sous les toits, perché sur la colline de Ménilmontant, je me revois escalader la rue de Belleville aux mille odeurs, surtout celle du canard laqué, nicher dans le Sentier entre les start-ups qui fleurissaient et les stocks de tissus qui s’empoussiéraient, la minuscule maison de poupée en fond de cour rue des Martyrs et mon refuge sous les toits en tête-à-tête avec le Sacré-Cœur. Ici, chaque quartier, chaque rue, chaque immeuble a son histoire, son odeur.
Paris me ravit : parfois je plisse les yeux et, sur la petite place du théâtre où j’habite à Montmartre, j’aperçois les différentes périodes qui se superposent, au passé comme au présent : une directrice d’école* qui résiste et qui cache des enfants, un directeur** de théâtre trop autoritaire, Catherine Deneuve*** qui croque des chips dans la Chamade, les amoureux qui s’embrassent sur ma place, un couscous trop cuit mais bien assaisonné, combien de drames, de joies, de pleurs sur un si petit bout de trottoir ?
Paris m’éblouit : je voudrais toujours garder ce filtre rose devant les yeux, celui qui fait gonfler mon cœur chaque fois que j’aperçois une fontaine Wallace ou un morceau de poésie parisienne. C’est Paris que je cherche dans toutes les capitales que je visite, ses pavés qui résonnent dans les ruelles de Provence, le bruit du métro qui siffle dans New-York, le tam-tam inimitable des gouttes sur le zinc de ma fenêtre que je cherche dans les bruits de la maison de campagne.
"On ne naît pas parisien, on le devient". Ce titre se mérite ; je connais peu de natifs qui savent pourquoi ils sont ici. Alors que les anciens provinciaux ont tous mille raisons d’être là. Paris m’a cueillie et m’a tendu les bras, 23 ans plus tard je valse, je tangue, ça rocke et ça décoiffe mais je suis toujours là. »
Fanny Auger
Fanny Auger ( @sassy.fanny ) est l'auteure du pétillant livre Trêves de bavardage aux édition Kero.
**Yvonne Le Tac, directrice d’école à Montmartre sous l’Occupation.
***Charles Dullin, directeur du théâtre de l’Atelier, de la place éponyme
****Le Café du Théâtre, place Charles Dullin