Je ne suis pas née dans le bon pays
Chaque mois, My Little Paris publie une manière de ressentir Paris partagée par un·e Parisien·ne. Pour cette chronique, on donne la plume à Lindsey Tramuta, une journaliste américaine installée à Paris depuis 15 ans. Elle est correspondante pour le New-York Times, et vient de sortir le livre La Nouvelle Parisienne, un portrait de 40 Parisiennes engagées qui dessinent le nouveau visage de Paris. Elle va nous parler du mythe de la parisienne, et de sa réalité.
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Après des études de littérature et de linguistique françaises et francophones, je connaissais mieux Baudelaire, George Sand et Aimé Césaire que Brigitte Bardot, Catherine Deneuve ou Chanel. Je n’étais pas, contrairement à nombre de mes compatriotes qui s’installent en France chaque année, une francophile invétérée. En revanche, j’étais obsédée par l’idée de maîtriser une langue étrangère ; d’abord pour me prouver que j’en étais capable, mais aussi - et je m’en rendrai compte bien plus tard -, pour pouvoir me glisser dans une toute autre identité. Ainsi, quand j’ai déménagé à Paris en 2006, je ne rêvais pas du conte de fées entretenu par la culture populaire, et je n’avais encore pas conscience des stéréotypes qui définissaient la façon dont Paris et ses habitants étaient perçus dans le monde.
Mais en parallèle, et même sans beaucoup d’attentes, je me suis rapidement sentie dépassée par les standards irréalistes qui s’imposaient à moi. J’ai découvert une ville où les panneaux publicitaires, les couvertures de magazines et les séries télévisées renforçaient une vision réductrice de la francité, de la beauté et de la féminité. Mince, blanche, incroyablement élégante et toujours tirée à quatre épingles, sûre d’elle, bourgeoise et, bien sûr, sexuellement libérée (mais hétéro) : voici quelques-uns des traits que j’observais comme le modèle de la parisianité, tel que fantasmé par les médias et les marques. Peu importe le quartier où je me retrouvais, c’était évident.
Pour reprendre les mots de Chimamanda Ngozi Adichie, cette dissonance reflète le danger d’une histoire unique. Si ces stéréotypes ne sont pas tous complètement faux, ils créent une vérité incomplète, qui réduit ces femmes à la caricature. Bien sûr, il existe également une vision tout aussi étroite et réductrice de Paris : à l'étranger, on entend souvent que “Paris n’est guère plus qu’une ville-musée qui se repose sur son passé. C’est un endroit qui ne change jamais. Ce n’est pas un lieu d’innovation”. Chaque jour, je me rends compte à quel point cette vision est fausse.
J’imagine que c’est ce que la voyante a décelé en moi : Paris est loin d’être parfaite, mais elle me donne un sentiment d’utilité et d’appartenance. Aujourd’hui, je lui rends la pareille en combattant ces stéréotypes pour la rendre un peu moins incomprise.