à Paris
“Au fond, la seule Parisienne,
c’est Paris”
Dans ce livre, il y a une écrivaine aux cheveux bicolores. Une fan de Pamela Anderson. Une sexagénaire qui porte le tartan comme une punk. Une danseuse. Une créatrice. Et puis il y a Jésus aussi. Derrière un comptoir de bistrot. À Paris est une série de vingt portraits de femmes réalisée par Jeanne Damas et Lauren Bastide, qui casse le mythe de la Parisienne rêvée et idéale, enfermée dans des petits adjectifs qui la rétrécissent. Et révèle les Parisiennes véritables, de chair et d’os. Celles qui habitent la capitale et incarnent, chacune à leur manière, ce « je-ne-sais-quoi ». On les a rencontrées : béguin pour ces deux Parisiennes qui ne ressemblent à aucune autre.
Comment ce projet de livre est-il né ?
Jeanne : Je ne voulais pas un énième livre sur le prétendu style de la Parisienne. Je voulais montrer toute la diversité des femmes qui habitent Paris aujourd’hui, loin des clichés qui figent leur image.
Lauren : Et puis c’était aussi en avril 2016 : après les attentats, Paris était en train de renaître. De panser ses blessures. On a vu les gens se remettre en terrasse sans flipper dès qu’une voiture passait dans la rue. Après ce qui s’est passé, célébrer l’art de vivre parisien et ses terrasses était presque politique.
Et ces femmes, comment les avez-vous sélectionnées ?
Lauren : On ne les a pas sélectionnées : on a travaillé de façon très intuitive, au fil de l’eau. Le but n’était pas de faire de l’anthropologie de la Parisienne... On considère vraiment qu’il n’y a pas une mais des Parisiennes : aucune ne se ressemble.
Jeanne : Au début, on était un peu timides. Mais rapidement, on a commencé à en aborder dans des cafés, dans le métro... On a même couru après des nanas dans la rue !
Une rencontre qui vous a marquées ?
Jeanne : Une de nos révélations, c’est une fille qui s’appelle Jésus. Elle a un bar qui s’appelle Jesus Paradis. J’y étais avec une copine et je l’ai vue, habillée en bleu de travail, dans une sublime combinaison de pompiste. Elle était incroyable.
Lauren : Moi, j’ai beaucoup aimé le dernier portrait qu’on a fait. C’est celui d’une grand-mère, Françoise, qui est antiquaire et vit avec son mari et son petit chien. Elle ne s’habille qu’en vintage, qu’elle chine en province...
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Lauren : Les photos argentiques, c’est Jeanne qui les a faites, et les textes c’est moi.
Jeanne : Je ne me considère pas vraiment comme photographe, mais j’ai toujours aimé saisir des moments, comme ça, au débotté. J’adore le grain que l’argentique donne aux images.
Lauren, tu animes aussi le podcast féministe La Poudre : tu n’as jamais hésité à garder une personnalité pour l’un ou pour l’autre ?
Lauren : Non, je ne me suis pas posé la question comme ça. Dans À Paris, on parle d’élégance et de style, de dégaine et d’esthétique (même sans répondre aux standards des canons de beauté), tandis que La Poudre est plus politique. Mais À Paris résonne avec ma démarche, cette volonté de dire qu’il n’y a pas une, mais des femmes et pas une, mais des Parisiennes. On est riche de nos diversités, de nos différences et à chaque fois qu’on essaye de catégoriser les gens ou de leur mettre une étiquette, de leur donner des injonctions, ça ne marche pas. C’est pour ça que La Poudre interroge les femmes en profondeur sur leur parcours et leur mode de vie, et c’est ce qu’on démontre dans le livre.
Et toi Jeanne ? Comment tu fonctionnes pour Rouje ?
Jeanne : C’est aussi une aventure collective, c’est important pour moi de m’entourer. Les amitiés féminines comptent beaucoup pour moi. Je travaille notamment avec la styliste Nathalie Dumeix, avec qui j’avais déjà imaginé des collections capsules. J’aime travailler avec les photographes Sophie Arancio ou Adeline Mai, des copines... Les modèles sont aussi mes amies, comme Michaela Thomsen, ou ma soeur, Louise Damas. Des femmes fortes, qui m’inspirent au quotidien.
Justement, qu’est-ce que vous aimez l’une chez l’autre ?
Lauren : En tant qu’ex-journaliste chez Elle, j’ai eu l’occasion d’écrire sur Jeanne. J’aimais déjà beaucoup ce qu’elle dégagait. Elle a une intelligence dans son image, dans son mode de vie. Ce qui m’a aussi plu dans ce projet de livre, c’est que j’ai tout de suite trouvé la démarche de Jeanne très humaniste, altruiste. Elle y montre d’autres facettes d’elle-même.
Jeanne : Lauren m’aide beaucoup quand je pars dans tous les sens. Elle est là pour tout structurer, pour me rassurer aussi. Quand j’avais peur de faire des propositions paradoxales, elle me guidait avec toute son expérience.
Que souhaitez-vous aux Parisiennes pour 2018 ?
Lauren : De ne pas oublier leur héritage et leur responsabilité historique. C’est ce qu’on exprime dans le livre de manière un peu subliminale : le féminisme et l’engagement politique de la Parisienne. Depuis la Révolution française enclenchée par les femmes de Paris, pendant la Commune où Louise Michel était une icône... À Paris, les femmes sont habitées de valeurs très fortes ! Ce que je leur souhaite pour 2018, c’est de continuer à porter ces valeurs humanistes et de liberté, d’être prêtes à lever le poing quand ça tourne mal, d’être solidaires, de s’entraider, d’ouvrir sa gueule. Il y a un chapitre avec quelques lectures féministes conseillées, des ouvrages qu’on partage et qu’on trouvait importants. J’ai l’impression que les jeunes générations ont une conscience politique très marquée, et c’est une très bonne chose.
Pensez-vous que, de la même manière qu’il y a un American Dream, il y a un “rêve parisien” ?
Lauren : Quand on vient à Paris, on a forcément un destin à accomplir en laissant sa province et sa famille derrière soi. Dans le livre, on parle de Nathalie, une styliste née en Bourgogne. C’est une femme sublime de 57 ans, la quintessence de la Parisienne qui, petite, disait : “Je veux être Coco Chanel ou Marie Curie”. À neuf ans, dans sa Bourgogne natale, elle était déjà Parisienne ! Ce qui lie ces femmes qu’on a rencontrées tient du destin, de l’accomplissement, de la liberté d’être soi, de l’absence de concessions. Elles se sont faites toutes seules, sans demander l’avis de personne.
Pour vous, “La Parisienne, c’est...” ?
Jeanne : La seule Parisienne, c’est Paris ! C’est vraiment ça : cette ville est tellement puissante, que dès l’instant où on y vit, elle nous façonne.
Quelle est la plus grande icône parisienne pour vous ?
Lauren : Joséphine Baker : elle n’est pas Parisienne, même pas Française. Elle était résistante et dansait nue...
C’est ça être Parisienne, c’est être soi !