L'interview inédite de Pierre Lemaitre

L'interview inédite de Pierre Lemaitre
Publié le 25 mars 2014
My Little Bookclub
L'interview inédite de Pierre Lemaitre pour My Little Book Club, c'est ici

My Little Book Club : Les lecteurs décrivent Au revoir là-haut comme un roman jouissif, tragique, démesuré, audacieux, obsédant, poignant, picaresque, incorrect, crépusculaire et en colère. Quels sont ceux dans lesquels vous vous reconnaissez ?

Pierre Lemaitre : Jouissif et en colère. En colère d'abord, car on ne fait rien sans colère. Elle est un bon moteur, même si elle atteint des limites qui aveuglent. Dans Au Revoir là-haut, au fur et à mesure que j'écrivais l'aventure de ces personnages, j'étais réellement en colère. Leur destinée me semblait gâchée. Et jouissif, car je suis un écrivain jubilatoire. J'aime écrire, j'aime mettre de l'humour dans mes livres, j'aime raconter des histoires. La page blanche ne m'a jamais torturé.

MLBC : La colère explique que vous ne vous êtes pas attaché à raconter la guerre mais plutôt l'après-guerre ? Comme si une autre guerre commençait ?

P. L.: En effet, alors que mes personnages pensaient passer de la guerre à la paix, ils passent de la guerre à une autre guerre. Ils ont fait une guerre militaire et basculent dans une guerre sociale et économique. C'est une terrible injustice.
Je me dois de casser le mythe de l'écrivain. Je ne suis pas du tout un écrivain inspiré, échevelé... D'ailleurs, je ne crois pas à l'inspiration, je ne crois qu'à la transpiration. Être romancier est un métier très technique. On ne peut pas simplement écrire parce qu'on est inspiré. Quand on décide de raconter une histoire et lui donner un sens, il faut puiser dans des outils techniques et un vrai savoir-faire, en fait c'est très prosaïque. Je me compare plutôt à un artisan-horloger qu'à un artiste.
Dans Au Revoir là-haut, je voulais raconter l'histoire de types qui ont connu une guerre qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire. Mon premier chapitre (une scène de guerre, ndlr) était donc nécessaire pour des raisons techniques : je voulais mettre mes lecteurs en colère, qu'ils vivent avec mes personnages un moment effrayant, d'une violence telle qu'ils se sentent avec les personnages. Je pouvais alors raconter l'après-guerre.

MLBC : A partir de quel moment savez-vous que vous tenez votre roman ?

P. L. : Je le sais exactement : à la 22e version du 1er chapitre. Churchill disait que « le vrai succès, c'est d 'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme ». Mes 21 premières versions ne fonctionnaient pas : la promesse du roman n'était pas tenue. Savoir qu'une version est la bonne est très intuitif, j'avais le sentiment que tout était là, que l'action était juste. Ma 22e version, c'était une évidence. Tous les ingrédients étaient réunis.

MLBC : Y a-t-il une catégorie de roman dans laquelle vous aimeriez être placé ?

P. L. : Oui, celle du roman picaresque, c'est-à-dire le roman de l'exclusion. Mes personnages sont des exclus de la société, des bannis. Le roman picaresque condense tout ce que je voulais dire dans Au Revoir là-haut : un héros modeste se trouvant face à l'injustice et n'ayant que la malhonnêteté pour s'en sortir. J'avais ce profond désir de raconter une injustice. Quand on veut écrire une aventure, on a besoin d'antagonistes. Il faut toujours deux éléments opposés, quelque chose qui veut et quelque chose qui ne veut pas (comme dans Roméo & Juliette).

MLBC : Est-ce que le fait d'avoir commencé par écrire des polars vous a aidé ?

P. L. : Honnêtement, j'ai commencé par le polar car je pensais que c'était plus simple. Finalement, j'ai réalisé que c'était très compliqué mais je n'ai pas fait demi tour. Le roman policier a été une formidable école. Mais j'ai aussi l'avantage d'avoir commencé l'écriture vieux, d'avoir acquis de l'expérience. Mon premier roman a été publié quand j'avais 56 ans : j'avais 46 ans de lecture derrière moi et 26 ans d'enseignement de la littérature. Quand je me suis mis à l'écriture, j'avais tellement de modèles que je n'avais plus de modèle : j'ai donc fait quelque chose qui me ressemblait.

MLBC : Quand vous écrivez, est-ce que vous avez un lecteur en tête ? Ou vous n'y pensez pas ?

P. L. : Si je ne pensais pas au lecteur, je ne me poserais pas la question de savoir si mon roman est bon ou non. Or, je fabrique une histoire pour le lecteur, je la lui vend d'ailleurs pour 22,50 € donc il faut que ça lui plaise. Mais la vraie question n'est pas de savoir si le livre va lui faire plaisir mais « est-ce que je produis l'émotion que je voulais produire ? Est-ce que mon lecteur pleure au moment où je voudrais qu'il pleure ? » Donc oui, d'une certaine façon, je suis donc obligé de penser à mon lecteur. La vocation de la littérature, c'est de faire comprendre le monde à travers les émotions. Chacun son métier, le mien, c'est de fabriquer de l'émotion.


MLBC : Comment écrivez-vous ? Aviez-vous la trame bien précise de votre roman avant de le commencer ?

P. L. : Un romancier doit faire très confiance à l'écriture mais aussi savoir s'en méfier. Si vous bétonnez trop votre histoire, vous ne faites pas confiance à ce qui peut arriver dans l'écriture. Par exemple, il peut arriver que tout à coup votre personnage fasse quelque chose de génial, qui change tout, et vous trouvez ça super. Ainsi, si vous peaufinez trop votre préparation, vous ne laissez pas beaucoup de place à la fantaisie. Dans l'écriture, il peut arriver beaucoup de choses. Mais il faut aussi se méfier de l'écriture car il ne faut pas croire que l'écriture va régler tous les problèmes, en se disant « je verrai bien ». Personnellement, je ne démarre pas tant que je n'ai pas la trame générale et la fin. A ce moment, je sais que l'écriture va pouvoir combler le reste mais je sais où je vais.

MLBC : Est-ce que vos personnages vous manquent aujourd'hui ?

P. L. : On peut se demander comment terminer une histoire quand on aime ses personnages mais qu'on ne se fait pas d'illusion sur eux. Au final, quand on est écrivain, on est dieu : on choisit leur destinée. Mais ce n'est pas tant les personnages à qui il est difficile de dire adieu, mais plutôt au livre. Ce roman m'a tout apporté dans ma vie : une célébrité que je n'attendais pas, une légitimité que je n'espérais pas, une sécurité dont j'avais besoin. C'est un cadeau du ciel. Le Prix Goncourt c'est ça : un prix littéraire ça change une année, le Goncourt ça change une vie. C'est donc difficile de le quitter. J'ai enregistré le livre audio : j'ai passé une vingtaine d'heures en studio à lire le texte. Pendant ce temps là, je me suis rendu compte que je disais adieu au texte. Je savais que c'était la dernière fois que je le lisais. D'ailleurs, en le relisant, je me disais : "ça il faudrait le changer" ou "cette scène, elle est vraiment géniale". Je suis loin d'être arrogant, mais dans la vie vous savez, ce n'est pas bon d'être dans le dénigrement de soi. Il y a des choses qu'on fait bien et d'autres moins. Sur les choses que l'on sait faire, il faut pouvoir se dire : "ça, je sais bien le faire". Il est probable que d'autres le font mieux, je ne suis pas le meilleur, mais à mon échelle, avec le savoir-faire qui est le mien, c'est ce que je pouvais faire de mieux.
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