L'interview du Squat - Petites Luxures


950 000 followers, mais tout d’un club secret : le compte Instagram de Petites Luxures, ce sont des dessins érotiques, suggérant les corps en quelques lignes épurées, jouant avec les mots et l’intime. On pensait que c’était une femme. Et puis on a rencontré l’homme derrière les images : Simon, graphiste parisien, marié, deux enfants. Et l’Instagram le plus hot du moment.


PARTIE 1 - PARIS
 
Première vie à Paris ?
19 ans. Porte d’Orléans dans une chambre de bonne, 7m2 avec douche sur le palier : le grand classique.

Rive droite ou rive gauche ?
Rive gauche puis rive droite. Mais j’ai redécouvert récemment la rive gauche, c’est vrai que je l’avais longtemps snobée, je la prenais pour une vieille bourgeoise. C’est parfois encore un peu le cas… J’adore le Canal de l’Ourcq, mais redécouvrir les quais de Seine, c’est magique.

Paris préféré ?
Le Paris historique. Se retrouver nez à nez avec des façades d’il y a plus de 100 ans. Le passé que l’on retrouve dans le présent, c’est ce qui me plait. Je vis dans une maison de 1908, je m’habille qu’avec des fringues de friperie, j’écris au stylo plume : j’ai un siècle de retard !

Paris pas tant que ça ?
Haussmann. A mes yeux, c’est froid et rectiligne. Je préfère mille fois tomber sur un vieux colombage dans le quartier de Saint Michel. Il y aura quand même un kebab installé devant et des vieilles mobylettes garées, mais j’aime quand l’histoire fait son propre mélange, parfois un peu bordélique.

Paris magique ?
Paris le matin. Rentrer de chez un pote à pieds et voir le soleil se lever sur la Seine. Croiser les bars encore ensommeillés d’une rue qu’on a vue la veille noire de monde.

Fuir Paris ?
Oui ! Je suis parti m'installer à la campagne quand j'ai eu des enfants. Mais je reste à 25 minutes de la Gare de l’Est.

Paris Calling ?
Oui aussi ! Ce qui me manque le plus, c’est l’instantanéité de la vie nocturne. Le fait d’avoir tous ces endroits géniaux à proximité.

Grand Parisien ?
Complètement. Je travaille à Pantin 4 jours par semaine. La mixité existe en périmètre réduit, de façon cloisonnée, à côté de BETC, Hermès, Chanel. Beaucoup d’amis s’installent là-bas, mais dans des îlots à part de la vie locale. Je crains que dans 15 ans, il n’y ait plus personne de ceux qui y vivent maintenant.

Paris gentrifié ?
Quand je travaillais vers Poissonnière, il y avait un quincailler où j’achetais des pièces pour mon vélo. Aujourd’hui, il n’y a presque plus que des restos aux ampoules carbone, tous plus ou moins pareils. Je suis pile dans la cible. Mais cette course à l’originalité devient ridicule, c’est l’uniformisation de l’originalité. Ce que j’aime en revanche, c’est que ça a fait bouger les gens dans des quartiers où ils ne seraient pas allés : la brasserie Barbès, le Ground Control, etc.

Lire Paris ?
“Je me souviens” de Georges Perec. Perec en son temps était perçu un peu comme un hipster, on le taxait de poseur, alors que c’était un artiste ! C’est le témoignage du quotidien d’une époque. J’adore. 

Paris pratique ?
Les vieilles boutiques du quartier Saint-Antoine au dessus de Bastille. Je suis très bricoleur, j’y vais pour acheter des produits pour retaper des meubles. Ces petits commerçants, ce sont des survivants.

Paris fétiche ?
Le Passage, 4 passage du marché dans le 10ème. Tu manges en mode tapas, tu bois du vin, c’est le bordel, c’est chaleureux, c’est délicieux.

Paris touriste ?
J’aime passer du temps à arpenter Paris, à pieds ou en vélo, pour prendre des photos. Prendre le temps de vraiment ouvrir les yeux. Quitte à se prendre pour un touriste pendant une journée. Revoir Notre Dame, manger une glace Bertillon, etc.
 
 
PARTIE 2 - ET PUIS TOI

Tu as toujours dessiné ?
Oui, je dessinais enfant, et je n’ai jamais arrêté : ça a toujours été ma came.

Comment est né Petites Luxures ?
Il y a quatre ans, je me retrouve 3 jours cloué au lit par une grippe. Pour m’occuper, je griffonne des silhouettes féminines. Des fesses, des seins, des courbes… J’en ai posté 3 sur mon Instagram perso. Et c'est à partir de là que tout a décollé.

D’où te viennent tes idées ? Je prends des choses du quotidien et je les érotise. J’ajoute la touche de canaillerie, pas l’inverse. Par exemple je tombe sur l’expression « faire machine arrière », et cela donne le dessin d’un couple qui fait l’amour sur une machine à laver. L’un de mes derniers dessins est accompagné des mots « Prends-moi, pas la porte » : on était en train de refaire ma maison et on repeignait les portes.


Et comment est-ce que tu passes de l’idée au post Instagram ?
J’ai toujours mon carnet sur moi. Je note mes idées et je les reprends après. Il peut s’agir d’une phrase, comme celle de Robert Desnos que vient de m’envoyer un  ami : « Je neigerai sur tes lèvres. » Ou tout simplement une chanson écoutée, une musique, une fringue… Parfois je dessine dans le train, mais je travaille surtout chez moi. Les dessins finaux, les encrages, je les fais le soir à mon bureau. Il faut être dans les bonnes conditions pour ne pas rater les quelques traits du dessin.


Tu as en tête le dessin qui a le mieux marché ?
Ce n'est pas forcément celui qui a eu le plus de likes, mais un de ceux que je trouve le plus efficace : "Devil Inside". 


Pour qui aimes-tu travailler ?
Je n’ai pas du tout envie de travailler pour des sex shops, par exemple, ou de me retrouver à dessiner le Kamasutra ! Je fuis le monde du cul. Ce que j’aime, c’est le potentiel érotique des choses. Travailler à partir de l’érotique ou de la pornographie enlèverait complètement le sens à ma démarche. J’ai dessiné une fois pour Télérama, pour parler du sujet rare de la violence des femmes envers les hommes. J'ai dessiné pour la série de Zabou Breitman sur Canal+ aussi. Et puis pour Carsie Blanton, la chanteuse jazz de la Nouvelle Orléans.

Est-ce qu’il y a des artistes qui influencent ton travail ?
J'essaie au maximum de ne pas avoir d'autre inspiration que celle du quotidien. Je n’ai jamais trouvé d’iconographie qui parlait d’érotisme de façon explicite qui me plaisait. Peut-être certaines gravures coquines du 18ème siècle. Ou les dessins d’Aubrey Beardsley ou Guido Crepax. Visuellement, j’essaie d’être vierge de toute référence. Je ne m’inspire jamais de photos, je dessine d’après ce que j’ai en tête, de la façon la plus sincère possible. Je reste fidèle à un fond beige, ma plume noire, et un ou deux mots.

Est-il arrivé que tes dessins soient censurés ?  
Quand j’ai commencé à poster mes dessins, je mettais pas mal de hashtags. Le nombre d’abonnés a grimpé très vite, mais ça a aussi attiré des gens facilement choqués. Certains ont dénoncés mes dessins, Instagram en a supprimé une petite dizaine. Maintenant, je ne mets presque plus de hashtags, et je n’ai plus de problèmes.

C’était voulu, d’entretenir l’anonymat aussi longtemps ?
Absolument. J’aimais bien l’idée que l’on ne soit pas biaisé par le fait de savoir qui se cache derrière les dessins. Et puis il y a eu tellement de copies et de gens qui se faisaient passer pour moi que je me suis dit qu’il était temps que l’on associe ma tête au projet. Les gens pensaient souvent, et pensent toujours parfois, que je suis une femme ! Ce qui fait beaucoup rire ma femme qui m’a longtemps reproché de ne pas savoir faire des choses féminines, d’être trop masculin.

Est-ce que tu inclus ta femme dans ton travail ?
Oui, il y a beaucoup de clins d’oeil assez personnels. Mais toujours dans la subtilité. La petite ancre tatouée que l’on retrouve sur certains de mes dessins, c’est celle de ma femme. Mais mes dessins restent un exercice de style, une échappée vers un imaginaire érotique, ce n’est pas un récit de ma réalité. Heureusement.

T’arrive-t-il de dessiner autre chose que de l’érotique ?
Plus que de la pornographie ou de l’érotisme, j’aime l’idée de dessiner l’intime. Des scènes privées qui se passent dans une chambre. Ce n’est pas mis en scène. Je dessine le soir chez moi une scène intime, et les gens reçoivent cette image chez eux, de façon toute aussi intime. J’aime la proximité de cet échange.

Justement, quelle est ta relation avec les abonnés ?
J’ai un lien très fort avec eux, ce sont eux à qui je dois mon succès et qui font vivre le compte Instagram à travers leur commentaires et leur tags. Je me rappelle d’un couple d’Iraniens qui s’envoyaient mes dessins. Il y a beaucoup de couples de façon générale qui se parlent à travers mes dessins, lorsqu’ils sont séparés géographiquement ou qu’ils n’osent pas aborder certains sujets, suggérer certaines choses.  

Dans le contexte actuel de libération de la parole des femmes, est-ce que l’on t’a demandé de prendre position ?
Je suis féministe, et j’estime que c’est complètement compatible avec le fait d’exprimer mon amour de la femme dans les dessins. C’est bien que ce genre de dessins existent. Et puis d’ailleurs, la femme est souvent en position de force dans mes dessins. J’ai un grand respect de la femme. Oui elle est un objet de désir, mais je la dessine toujours de façon sincère, je ne pense pas la femme comme un objet, bien au contraire.

Pour finir, quels sont tes projets ?
Je travaille actuellement sur de la céramique et du linge de maison, ça m’inspire. J’aime le côté caché des tiroirs, des doublures, l’intérieur d’un vase… Et puis avec un ami photographe, on travaille sur une installation qui mettrait en place mes dessins en néon dans un vieux château du 18ème.

Merci Simon !

 
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